Un animal cornu blessa de quelques coups
Le lion, qui plein de
courroux,
Pour ne plus tomber en la
peine,
Bannit des lieux de son
domaine
Toute bête portant des cornes à son front.
Chèvres, béliers, taureaux aussitôt délogèrent;
Daims et cerfs de climat
changèrent :
Chacun à s'en aller fut
prompt.
Un lièvre, apercevant l'ombre de ses oreilles,
Craignit que quelque
inquisiteur
N'allât interpréter à cornes leur longueur,
Ne les soutînt en tout à des cornes pareilles.
« Adieu, voisin grillon, dit-il; je pars d'ici:
Mes oreilles enfin seraient cornes aussi;
Et quand je tes aurais plus courtes qu'une autruche,
Je craindrais même encor. » Le grillon repartit:
« Cornes cela? Vous me prenez pour cruche;
Ce sont oreilles que Dieu
fit.
- On les fera passer pour
cornes,
Dit l'animal craintif, et cornes de licornes.
J'aurai beau protester; mon dire et mes raisons
Iront aux
Petites-Maisons. »
Jean de La Fontaine, Fable IV,
Livre V.