Deux coqs vivaient en paix: une poule survint,
Et voilà la guerre
allumée.
Amour, tu perdis Troie; et c'est de toi que vint
Cette querelle envenimée
Où du sang des dieux même on vit le Xanthe teint.
Longtemps entre nos coqs le combat se maintint.
Le bruit s'en répandit par tout le voisinage:
La gent qui porte crête au spectacle accourut;
Plus d'une Hélène au beau
plumage
Fut le prix du vainqueur. Le vaincu disparut:
Il alla se cacher au fond de sa retraite,
Pleura sa gloire et ses
amours,
Ses amours qu'un rival, tout fier de sa défaite,
Possédait, à ses yeux. Il voyait tous les jours
Cet objet rallumer sa haine et son courage;
Il aiguisait son bec, battait l'air et ses flancs,
Et, s'exerçant contre les
vents,
S'armait d'une jalouse
rage.
Il n'en eut pas besoin. Son vainqueur sur les toits
S'alla percher, et chanter sa victoire.
Un vautour entendit sa
voix:
Adieu les amours et la
gloire;
Tout cet orgueil périt sous l'ongle du vautour.
Enfin, par un fatal
retour,
Son rival autour de la
poule
S'en revint faire le
coquet :
Je laisse à penser quel
caquet,
Car il eut des femmes en
foule.
La fortune se plaît à faire de ces coups:
Tout vainqueur insolent à sa perte travaille.
Défions-nous du sort, et prenons garde à nous
Après le gain d'une
bataille.
Jean de La Fontaine, Fable XIII,
Livre VII.
Les deux Coqs
Fable de Jean de la Fontaine
Illustration de Gustave Doré