Le serpent a deux parties
Du genre humain ennemies,
Tête et queue; et toutes
deux
Ont acquis un nom fameux
Auprès des Parques
cruelles :
Si bien qu'autrefois
entre elles
Il survint de grands
débats
Pour le pas.
La tête avait toujours marché devant la queue.
La queue au Ciel se
plaignit
Et lui dit :
« Je fais mainte et mainte lieue
Comme il plaît à
celle-ci;
Croit-elle que toujours j'en veuille user ainsi?
Je suis son humble
servante.
On m'a faite, Dieu merci,
Sa sœur et non sa
suivante.
Toutes deux de même sang,
Traitez-nous de même
sorte:
Aussi bien qu'elle je
porte
Un poison prompt et
puissant.
Enfin, voilà ma requête :
C'est à vous de commander
Qu'on me laisse précéder
A mon tour ma sœur la
tête.
Je la conduirai si bien
Qu'on ne se plaindra de
rien. »
Le Ciel eut pour ces vœux une bonté cruelle.
Souvent sa complaisance a de méchants effets.
Il devrait être sourd aux aveugles souhaits.
Il ne le fut pas lors; et la guide nouvelle,
Qui ne voyait, au grand
jour,
Pas plus clair que dans
un four,
Donnait tantôt contre un
marbre,
Contre un passant, contre
un arbre:
Droit aux ondes du Styx elle mena sa sœur.
Malheureux les États tombés dans son erreur!
Jean de La Fontaine, Fable XVII,
Livre VII.