Mère lionne avait perdu son faon. :
Un chasseur l'avait pris. La pauvre infortunée
Poussait un tel rugissement
Que toute la forêt était importunée.
La nuit ni son obscurité, .
Son silence et ses autres charmes,
De la
reine des bois n'arrêtaient les vacarmes :
Nul animal n'était du sommeil visité.
L'ourse enfin lui dit: « Ma commère,
Un mot sans plus : tous les
enfants
Qui sont passés entre vos dents
N'avaient-ils ni père ni mère?
- Ils en avaient. - S'i1 est ainsi,
Et qu'aucun de leur mort n'ait nos
têtes rompues,
Si tant de mères se sont tues,
Que ne vous taisez-vous
aussi?
- Moi, me taire! moi, malheureuse?
Ah! j'ai perdu mon fils! il me faudra traîner
Une vieillesse douloureuse!
- Dites-moi, qui vous force à vous y condamner?
- Hélas! c'est le destin, qui me hait. » Ces paroles
Ont été de tout temps
en la bouche de tous.
Misérables humains, ceci s'adresse à vous.
Je n'entends résonner que des plaintes frivoles.
Quiconque, en pareil cas, se croit haï des cieux,
Qu'il considère
Hécube, il rendra grâce aux dieux.
Jean de La Fontaine, Fable XII,
Livre X.
La Lionne et l'Ourse
Fable de Jean de la Fontaine
Illustration de Gustave Doré