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Un stylo plume, à l’écriture racée
et élégante, se désole d’être remplacé de plus en plus souvent par l’imprimante
vulgaire du bureau.
Alors tant pis, il se lâche et écrit son ressentiment sur une belle lettre, à
l’attention de son propriétaire.
Celui-ci découvre le message, comprend… et a une fabuleuse idée pour Marquis !
Marquis le stylo
dessin conte pour enfants
Il était une fois un magnifique stylo doré qui s’appelait Marquis. Il adorait
écrire, surtout de belles lettres, toutes en courbes et en attaché.
Il aimait moins réaliser des chiffres, mais se laissait faire malgré tout, quand
vraiment son utilisateur avait besoin de faire des calculs. Il possédait une
belle encre noire, fine et élégante à la fois, et sa restitution sur le papier
était toujours très réussie.
Mais Marquis avait un problème : il trouvait qu’on ne se servait pas assez de
lui… Il aurait voulu écrire tout le temps ou presque, remplir des pages et des
pages, tracer encore et encore… Or, on l’utilisait par ci par là, à peine
quelques minutes dans toute la journée.
Ce n’était pas comme ce gros ordinateur, et cette maudite imprimante ! Ah, eux,
ils étaient souvent sollicités, parfois même pendant des heures : les doigts
tapaient mécaniquement sur le clavier, puis, dans un bruit infernal, une feuille
sortait de la machine, couverte de textes dactylographiés.
Où était le plaisir d’écrire, de sentir l’encre se déposer délicatement sur le
papier ? Et que dire de cette écriture standardisée, uniforme, sans aucun charme
ni personnalité.
Marquis entrait alors dans de grandes colères, pestait contre cette dérive d’un
art humain, pratiqué depuis des siècles, et aujourd’hui, si négligé, si
maltraité.
Un jour, sa colère fut si grande qu’il ne put la contenir. Cette imprimante
infernale avait fonctionné toute la journée, et en plus, avait produit en
continu des documents ratés : des titres décalés en bas de page, des marges trop
grandes, des tâches noires sur les coins. Que de papier gâché ! Tout à
recommencer !
Marquis explosa. De manière extraordinaire, il sortit de sa boîte, s’approcha
d’une feuille blanche, et, tout seul, commença à écrire.
Il choisit son plus beau style, et entama un pamphlet à l’encontre de
l’ordinateur, et de son assistante sans malice. Il dit ce qu’il pensait, ses
regrets de n’être pas davantage mis à contribution, lui dont la qualité
d’écriture était, sans conteste, largement supérieure à celle, sans grandeur, de
l’imprimante.
Bientôt, la feuille fut complètement remplie.
Marquis enchaîna alors sur une autre page, il avait tant de choses à dire !
Il parla aussi de son sentiment de solitude, laissé à lui-même dans sa boîte, de
sa souffrance de se voir préférer le matériel moderne, et aussi de ses envies de
réaliser de grandes et belles choses.
Il en consigna des pages et des pages.
Quand enfin, il s’arrêta, le soir tombait et son maître n’allait pas tarder à
rentrer. Ca lui avait fait du bien de s’exprimer ainsi. Il se sentait soulagé et
s’était fait plaisir…
Alors, même si ce qu’il avait écrit n’allait rien révolutionner, ce n’était pas
grave, le bénéfice était déjà pris !
Sur ce, il entendit les pas de l’homme entrer. Celui-ci approcha et vint
s’installer à son bureau. Il consulta son ordinateur.
-« Toujours lui ! » pensa Marquis, « il ne peut vraiment plus s’en passer, grrrh ! »
Puis, il s’avachit dans son fauteuil, les yeux mi-clos.
-« Allons bon » se dit Marquis « ce n’est pas comme ça qu’il va s’intéresser à
mes copies… »
Marquis fit alors tomber un petit trombone en équilibre sur le bord de sa boîte.
Ca avait marché ! L’homme regarda ce qui avait chuté, et aperçut les feuilles
manuscrites.
-« Mais, je ne me souvenais pas avoir laissé de papiers… » se dit-il.
Étonné, il prit connaissance de ce qui était mentionné. Il ne fut pas déçu ! Ca
alors ! Ca déménageait ! On aurait dit que c’était un stylo qui s’exprimait !
-« Je ne sais pas qui a rédigé cela, mais ça me plaît, c’est sûr ! »
Il remarqua la calligraphie impeccable, la présentation soignée, et reconnut la
qualité irréprochable de son stylo doré.
-« Il y a du vrai dans ce qui est écrit là. Beau stylo, ta production est d’une
qualité inégalable, et surtout sans comparaison avec celle d’une machine sans
âme… Cela tombe bien que l’on m’ait écrit cela. Je dois prochainement rédiger un
texte de la plus haute importance sur les droits de l’homme aujourd’hui. Sans
hésiter, j’écrirai ces articles sur du papier de grande finesse, et à la main.
Je t’utiliserai, cher stylo, plutôt que l’ordinateur, car j’ai besoin d’emphase,
de cœur, et de conviction. »
Marquis n’en crut pas son bouchon ! Les droits de l’homme actualisés ! Trop
bien ! Le rêve !
Quelque temps plus tard, le document parut : sous la forme d’un parchemin, on
put lire les différents articles des droits. L’écriture était parfaite : ronde,
déliée, forte. Et le contenu tellement riche…
On en fit de nombreuses reproductions qu’on encadra un peu partout dans le
monde.
Depuis, le stylo Marquis fut régulièrement employé, pour des tâches nobles et
humaines exclusivement, tandis que l’ordinateur et son imprimante furent
confinés à l’exécution de brouillons sans importance…
Créé le 20 septembre 2004 par Valérie Bonenfant
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